LE RACHIS, LE SPORT ET L'ENFANT

 

                           

K. Mazda, GF. Penneçot, H. Bensahel (Hopital R. Debré)

P. Béraud, P. Stora (Hopital Bichat)

 

 

 

 

Introduction

 

La vertèbre de l'enfant comporte de nombreux cartilages de croissance sans cesse en évolution. Elle est donc particulièrement fragile. Le sport lui impose des contraintes particulières dont les conséquences peuvent être pathologiques. La notion de croissance en cours est un des éléments déterminants du pronostic et du traitement.

 

Chaque vertèbre compte 4 cartilages de croissance (corporéaux supérieur et inférieur et 2 à la jonction neurocentrale, entre corps vertébral et arc postérieur) plus un nombre variable suivant les vertèbres de points d'ossification secondaire. Chacune de ces régions pourra être le siège de pathologie particulière aux cartilages de croissance : épiphysiodèse, décollement épiphysaire, dystrophies, avec leurs conséquences.

 

Les progrès de l'imagerie médicale ont permis de modifier la stratégie thérapeutique et de limiter au maximum les conséquences à l'âge adulte des traumatismes sportifs de l'enfance.

 

La pratique de plus en plus précoce du sport, notamment dans un esprit de compétition, est source de contraintes de plus en plus sévères. Il en résulte une nouvelle pathologie à la fois micro-et macro-traumatique. Tout enfant suspect d'une fracture du rachis n'apparaissant pas sur les radiographies standards doit bénéficier d'un scanner. Le rugby, la gymnastique, le plongeon, le trempoline peuvent être responsables d'accidents particulièrement graves.

 

Il ne faut pas toutefois oublier que, chez l'enfant, le sport pratiqué de façon raisonnable est indiscutablement bénéfique, permettant un développement plus harmonieux, une meilleure coordination et un comportement social mieux adapté.

 

 

1- Le certificat d'aptitude au sport.

 

Son intérêt est avant tout de dépister les facteurs de risque. Il se doit de préciser les antécédents personnels et familiaux de l'enfant, car il semble que la plupart des affections rachidiennes susceptibles de le concerner soient sous la dépendance d'une prédisposition familiale et de facteurs génétiques à transmission dominante liée au sexe, à expression variable et à pénétrance incomplète.

 

L'examen clinique doit être complet après avoir mesuré le poids et la taille de l'enfant. Il doit s'attacher tout d'abord à la recherche d'un trouble statique, de l'existence d'une gibbosité, d'une déviation latérale, ou d'un décalage d'une épineuse.

 

Il doit également rechercher d'éventuels facteurs favorisants à distance de douleurs vertébrales : inégalité de longueur des membres inférieurs, raideur sous-pelvienne...

 

Il doit comporter systématiquement un examen neurologique et cutané à la recherche de symptomes éventuels pouvant être associés à des lésions rachidiennes (taches café au lait de la maladie de Recklinghausen, hypertrichose associée à une malformation congénitale...)

 

L'examen radiologique n'est justifié que si l'examen clinique dépiste une anomalie. La constatation de celle-ci nécessite une surveillance médicale régulière, plus particulièrement dans la période pré-pubertaire et pubertaire.

 

Le certificat d'aptitude ne saurait être une simple formalité administrative, ou de complaisance, mais un véritable examen complet qui est d'ailleurs parfois le premier auquel est soumis le jeune sportif. Son renouvellement est fonction des constatations faites au cours de chaque examen, la validité de ce certificat n'excédant pas un an.

 

La responsabilité disciplinaire civile et pénale du médecin qui rédige le certificat est engagée.

 

Mais il faut toutefois se méfier de toute attitude trop systématique vis à vis du sport et toujours tenir compte des désirs exprimés par l'enfant. En effet, la notion d'exclusion sportive peut avoir des conséquences psychologiques graves, notamment le refus du traitement médical par ailleurs proposé. Même le port d'un éventuel corset ne doit pas interdire une pratique sportive modérée de quelques heures par semaine.

 

 

2 - Les affections rachidiennes de l'enfant et la pratique sportive

 

2.1. La maladie de Scheuermann.

 

Le diagnostic repose sur la constatation d'une cunéiformisation supérieure ou égale à 5° de 3 vertébres adjacentes associée à une irrégularité des plateaux vertébraux ainsi qu'à des pincements discaux, avec ou sans hernie rétro-marginale ou intra-spongieuse.

 

Le drame de la dystrophie rachidienne de croissance est que son diagnostic est bien souvent ignoré et négligé à la période où son traitement pourrait être efficace. Une augmentation modérée des courbures passe volontiers inaperçue et est considérée comme une simple mauvaise posture. La douleur dorsale est rarement motif de consultation. C'est plus souvent l'exagération de la cyphose remarquée par l'entourage ou par la médecine scolaire qui attire l'attention.

 

Parmi les hypothèses pathogéniques proposées, outre le facteur génétique, la plus probable est celle d'une fragilisation anormale des plateaux vertébraux aggravée par les micro-traumatismes dûs au sport.

 

L'examen clinique doit rechercher la réductibilité de la cyphose par mise en extension en décubitus ventral, ce qui permet de différencier la maladie de Scheuermann des dos ronds posturaux.

 

Elle est d'ailleurs plus fréquente en milieu sportif et ce d'autant plus que le sport a été commencé plus tôt. Une spondylodystrophie de type Scheuermann a été constatée chez 26% des enfants pratiquant le ski nautique. Le nombre d'années de pratique sportive accroît  ce pourcentage qui avoisine 100% chez ceux qui ont plus de 9 ans de pratique. Les même constatations ont été faites sur des études IRM chez des jeunes athlètes.

 

Si le sport est contre-indiqué en période aigüe et douloureuse, il peut être toutefois pratiqué avec prudence lors de la période prépubertaire et pubertaire en évitant les sports violents ainsi que les positions cyphosantes du rachis dorsal (vélo, nage papillon). Il est autorisé, sans restriction, en fin de croissance.

 

Le traitement d'une maladie de Scheuermann ne doit ni faire interrompre l'activité sportive, ni compromettre l'année scolaire. En cas de port de corset, il suffit d'enlever celui-ci quand l'enfant fait du sport.

 

En effet, la plupart des auteurs s'accordent pour estimer que la cyphose ne se réduit jamais sans un traitement actif, et qu'elle n'est réversible que pendant la période de croissance et qu'une fois constituée elle donnera très souvent des douleurs à l'âge adulte. La gymnastique est un élément important du traitement, mais, si elle est active dans les cyphoses posturales, elle est insuffisante dans la maladie de Scheuermann où elle doit précéder et être associée à une correction orthopédique. Le traitement chirurgical est exceptionnel, réservé à des formes majeures.

 

 

2.2. Les cyphoses par lésions dystrophiques de croissance (en dehors du Scheuermann).

Certaines formes de lésions dystrophiques de croissance sont particulières par leur localisation thoraco-lombaire ou lombaire haute avec une véritable discite atteignant simplement un ou deux étages, avec hernie marginale antérieure, cyphose discale et vertébrale. Il n'y a pas ici, contrairement à la maladie de Scheuermann, de prédominance de sexe et l'âge d'atteinte est volontiers la période pré-pubertaire. Il s'agit fréquemment d'enfants très sportifs, en particuliers gymnastes.

 

On peut observer une évolution en cyphose angulaire importante qui conduira à l'arrêt du sport et au maintien par corset lordosant. On assiste alors sous traitement à une reconstruction de la partie antérieure des corps vertébraux. Le rôle du sport dans cette véritable pathologie de surcharge mécanique nous semble probable.

 

2. 3. Les scolioses.

La constatation d'une déviation latérale du rachis dépistée par l'examen clinique impose un examen radiologique complet. 

 

Celui-ci permet de différencier la simple attitude scoliotique réductible en position couchée, ou par équilibrage des membres inférieurs, de la scoliose vraie.

 

L'attitude scoliotique peut être provoquée par une inégalité des membres inférieurs, une attitude vicieuse de hanches, des paralysies ou contractures asymétriques des muscles du tronc ou de la ceinture pelvienne, une asymétrie fonctionnelle de la charnière lombo-sacrée en position debout.

 

La scoliose vraie, dite essentielle, est d'origine génétique. Elle est 8 fois plus fréquente chez les filles que chez les garçons.

 

Les radiographies  doivent  mesurer les angles des courbures et le degré de rotation des vertèbres. Elles doivent également rechercher l'existence de cyphoses associées et en mesurer l'importance. Elles permettent enfin d'apprécier l'âge osseux réel de l'enfant au niveau du poignet gauche ou des crêtes iliaques. L'âge osseux peut parfois différer de l'âge réel de plusieurs années. Le pronostic dépend essentiellement de l'âge d'ossification.

 

En cas de scoliose thoracique il faut également apprécier la fonction respiratoire.

 

Une surveillance radiologique régulière s'impose, notamment en période pré-pubertaire (10 à 11 ans chez les filles et 12 à 13 ans chez les garçons). Les formes modérées peuvent bénéficier d'une gymnastique active individuelle ou en groupe, mais celle-ci est souvent difficile à faire accepter.

 

Les activités sportives soutiennent beaucoup plus facilement l'intérêt de l'enfant et sont un appoint utile. Les sports en extension, basket ou volley-ball, doivent être privilégiés. On ne peut pas en attendre une réduction de la scoliose structurale, mais une amélioration du tonus qui permet au moins de réduire la composante asthénique de la déviation.

 

La natation occupe une place privilégiée. En ce qui concerne les nages sur le côté, il faut s'assurer que l'asymétrie des mouvements agit dans le bon sens. La natation sous l'eau, le crawl, la natation avec "tuba" sont d'excellents exercices pour développer la capacité respiratoire.

 

L'équitation, longtemps déconseillée pour ses micro-traumatismes en tassement, apparaît en fait être un bon sport pour la prise de conscience de la bonne posture du dos, et développer un meilleur tonus musculaire, notamment des muscles courts érecteurs du rachis, ainsi qu'un travail proprioceptif bénéfique.

 

Quant aux sports en rotation comme le tennis ou le golf, ils n'ont jamais, contrairement aux idées reçues, ni pu provoquer une scoliose, ni aggraver une déviation latérale préexistante.

 

Il faut avoir une attitude réservée vis à vis des sports impliquant des traumatismes, tels que le judo, le hockey, le rugby…

 

C'est le rôle du médecin sportif d'orienter l'enfant vers certains sports plutôt que vers d'autres en fonction de la pathologie constatée.

 

A partir d'un certain degré d'angulation (environ 30°) et de l'âge de l'enfant la décision du port d'un corset se discute, mais ceci devient l'affaire des "scoliologues".

 

Même dans ce cas, la poursuite de la plupart des activités sportives non traumatisantes, est autorisée et même conseillée à titre de complémént thérapeutique.

 

2.4. Les spondylolyses et spondylolisthésis

Deux situations doivent être distinguées:

2.4.1. la douleur aiguë, pseudo-fracturaire. La spondylolyse est découverte par la radiographie. On a parfois la chance de disposer de radiographies antérieures à l'épisode aigu, permettant de mettre en cause le traumatisme récent dans la rupture de l'isthme. Il s'agit alors souvent d'un effort prolongé (marathon) et la radiographie montre une situation inhabituelle de la rupture isthmique, un peu haute, et souvent l'existence de processus articulaires un peu longs. Dans ces conditions, l'arrêt du sport associé à un traitement par corset cyphosant (Boston) peut conduire à la consolidation isthmique en trois à quatre mois. La reprise des activités sportives se fera ensuite progressivement, après une rééducation en cyphose et assouplissement des fléchisseurs de hanche. Eviter les sports en hyper-extension lombaire parait alors logique.

 

2.4.2. Les lombalgies chroniques. C'est la situation la plus fréquente. Là aussi, c'est la radiographie qui met en évidence le spondylolisthésis avec ou sans spondylolyse. En dehors de l'interruption sportive en phase algique, le traitement ne diffère pas ici de l'enfant non sportif.

Il est des sports où les spondylolisthésis et les spondylolyses se rencontrent avec une fréquence particulière : la gymnastique, le saut en hauteur.

L'extrême variabilité de la tolérance clinique de ces lésions doit inciter à la prudence dans le choix de l'attitude à observer vis à vis de l'activité sportive. Si une diminution, voire un interruption de l'activité semble logique devant la progression d'un spondylolisthésis ou des douleurs cédant à l'arrêt des efforts, beaucoup de sportifs de haut niveau ne semblent pas être gênés malgré l'existence d'une véritable spondylolyse.

 

3.  Pathologie traumatique

3.1. les fractures et décollements épiphysaires

Deux particularités au rachis de l'enfant:

3.1.1. le diagnostic parfois difficile des décollements épiphysaires, les pièges des synchondroses.

La croissance du rachis ne s'achève qu'à la fin de la puberté et il ne faudra pas prendre pour une fracture un listel marginal, une synchondrose de l'ondotoïde ou un point d'ossification secondaire d'une transverse.

De même, la statique rachidienne de l'enfant a ses particularités, notamment au rachis cervical, où une cyphose C3/C4 ou C4/C5 peut être physiologique.

A l'inverse, il faudra se méfier de lésions traumatiques particulières, notamment au rachis cervical supérieur, dont les luxations rotatoires C1/C2, les décollements épiphysaires de l'odontoïde ou les instabilités C1/C2.

Certains terrains, dont les trisomies 21, chez qui les activités sportives sont à juste titre encouragées, développent préférentiellement des lésions d'instabilité.

 

3.1.2.  les conséquences sur la croissance du traumatisme d'un cartilage de croissance.

Les lésions de type Salter V sont possibles, en particulier dans les fractures en flexion du rachis avec tassements corporéaux. Il faudra ici être particulièrement vigilant, et ce d'autant plus que la croissance résiduelle est importante, sous peine de voir se développer des cyphoses post-traumatiques par défaut de croissance.

Il en découle que les indications des traitements orthopédiques par des corsets anti-cyphose permettant de décharger le cartilage lésé doivent être plus larges que chez l'adulte. De même, ce traitement doit être plus prolongé, jusqu'à obtention d'une hauteur corporéale normale. La surveillance doit être prolongée, le plus souvent jusqu'à la fin de la croissance.

 

3.2. Les entorses du rachis cervical

 

Nous n'évoquerons que l'examen d'un enfant sportif présentant une limitation douloureuse post-traumatique du rachis cervical. Nous éliminerons d'emblée les traumatismes graves avec fracture ou luxation du rachis cervical qui ne posent que des problèmes thérapeutiques et sont aisément reconnus. La question est de savoir quelle conduite adopter face à un rachis douloureux et raide.

 

L'examen clinique retrouve une contracture, un aspect guindé, et il faut rechercher par la palpation douce des épineuses une douleur localisée évocatrice de lésion ligamentaire postérieure.

 

La radio initiale est de peu d'utilité ne montrant que la raideur rachidienne avec perte de la lordose physiologique et éliminant une fracture. Il est alors impossible de pratiquer une radiographie dynamique.

 

Si l'enfant se présente avec un torticolis, une traction douce permet de corriger l'attitude vicieuse. Si le rachis cervical est raide en bonne position, un simple collier est mis en place. Il faudra ensuite attendre que le rachis cervical soit assoupli pour pouvoir éliminer sur des radiographies en flexion une entorse grave. La persistance d'une douleur localisée au niveau d'une épineuse peut la faire soupçonner, mais seul le cliché en flexion permet de l'objectiver.

 

Les signes d'une entorse grave sont:

-  la perte du parrallélisme des articulaires

-  l'augmentation de l'écart inter-épineux

- la cyphose discale.

 A ces trois signes peut s'ajouter parfois l'apparition secondaire d'une calcification inter-épineuse très significative.

 

Le traitement dépend alors de l'importance de l'instabilité mise en évidence. Il peut aller jusqu'à la stabilisation chirurgicale par fixation et arthrodèse postérieure localisée.

Si, par contre, au terme de l'enraidissement du rachis cervical, la radiographie faite en flexion ne met pas en évidence d' instabilité, le rachis peut être considéré comme indemne de lésion ligamentaire et l'enfant peut alors reprendre ses activités sportives.

 

 

3.3. Les hernies discales

La hernie discale est rare chez l'enfant. Certains sports, tels que le basket-ball, le rugby ou la gymnastique seraient des facteurs favorisants.  Elle présente deux particularités : le polymorphysme du tableau clinique et son traitement, rapidement chirurgical.

La sciatalgie est rarement typique, le plus souvent tronquée. Les signes neurologiques sont le plus souvent frustres. La symptomatologie se résume parfois à des lombalgies récidivantes ou à une hypolordose, voire une cyphose lombaire. Une symptomatologie d'emprunt telle qu'une boiterie n'est pas rare.

L'IRM fait le diagnostic.

Le traitement est au départ toujours médical par médications antalgiques et anti-inflammatoires, le repos et le port d'un corset.

La non régression des signes doit conduire rapidement à la chirurgie, dont les bons résultats sont altérés par des traitements conservateurs inefficaces prolongés.

 

3.4. Les avulsions du listel marginal

Lésion propre à une vertèbre en croissance, c'est une affection extrêmement rare.  Il s'agit d'un décollement épiphysaire d'un coin postérieur d'une vertèbre à travers lequel s'insinue du matériel discal. Le mécanisme le plus fréquent est l'hyper-flexion-rotation du tronc (rugby++). Il en résulte habituellement une compression radiculaire par issue dans le canal ou le recessus d'un matériel volumineux.

La radiographie standard fait souvent le diagnostic en objectivant le listel en situation aberrante, postérieure, et l'IRM confirme la lésion en montrant la compression de nature hétérogène, ostéo-chondro-discale.

Le traitement est uniquement chirurgical.

 

 

 

4.  La lombalgie "isolée"

Ne rien découvrir à l'examen clinique ou radiographique standard ne signifie pas forcément qu'il n'y ait pas à s'inquiéter.

La contusion musculaire peut exister, surtout devant un contexte évocateur et une disparition rapide de la symptomatologie sous traitement symptomatique et repos.

Il faudra savoir se méfier des lombalgies isolées de l'enfant, même sportif. Ce symptôme n'est ici pas fréquent, contrairement à l'adulte. Une tumeur intra ou extra rachidienne, osseuse, une spondylodiscite bactérienne ou tuberculeuse, une malformation neurologique évolutive peuvent être révélés par  des lombalgies.

C'est pourquoi toute lombalgie rebelle et inexpliquée chez l'enfant, même sportif, doit pousser à compléter les investigations et en particulier à faire pratiquer une IRM neuro-rachidienne.

 

 

 

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